Ísmey + Dans la chaleur des nuits de pleine lune

T'as toujours cru que tu faisais partie des gentils. T'as toujours cru que vous n'étiez que des victimes. Que les victimes d'une personne extérieure, inconnue. En réalité, tu n'as jamais rien compris. A ce que tu vivais, mais aussi au monde qui t'entourait. Tu n'as jamais compris et aujourd'hui tu tentes de comprendre. Tu essayes, mais tu n'y parviendras pas...

Je referme le livre. Les mots me percutent, ils semblent si pertinents, si appropriés à l'instant présent. Mais je n'aime pas ce livre, je n'aime pas cette quête que se donne le personnage principal, une quête qui n'a aucun sens. Le personnage meurt à la fin. C'est une évidence. Et puisque je sais la fin, je n'essaye pas d'en savoir plus. Je me lève, et dépose le livre sur la table du salon. Peut-être qu'il intéressera quelqu'un d'autre. Moi j'en ai fini. J'avance doucement vers la fenêtre. Lorsque j'étais petite, je jouais dans ce jardin. Mes grands-parents me poussaient, et moi je riais. A l'époque, j'étais aveuglée par l'espoir. Par l'espoir que Monsieur et Madame Björg soient les grands parents idéaux, ceux qui font des gâteaux et qui emmènent en promenade le dimanche après-midi. Je pensais qu'ils étaient gentils, et surtout, qu'ils nous aimaient. Mensonge. Terrible erreur. Ils n'ont toujours pensé qu'à eux. Ma mère fut leur erreur. Leur fardeau. Leur malheur. Ma grand-mère, victime d'un déni de grossesse, n'a pas eut le temps d'avorter. Et quelques années plus tard, nous arrivions. Emil, Ruth, Jakob, Alexander et moi. Ils ont du jouer la comédie, ils ont du nous faire croire pendant des années qu'ils n'étaient que de pauvres victimes de la guerre, qui avaient échappé aux camps pour trouver bien pire ici : l'enfer éternel, la damnation, la condamnation, la malédiction. Vivre dans un même corps, sans prendre une ride, sans prendre de l'âge, et savoir que pendant des siècles, ils allaient devoir rester ici, ils ont prétendu ne pas l'accepter. Ils ont prétendu en souffrir. En réalité, ils en ont profité. Ils en ont usé. Ils ont aimé cette malédiction, ont renié leur religion pour s'abandonner aux vices.
Je ne l'ai pas vu tout de suite. Je me suis rendue compte de qui ils étaient lorsqu'ils sont arrivés. Des nouveaux, des nouveaux prisonniers, des nouveaux monstres, qui tout comme mes grands-parents, ont sauvé leur peau en laissant d'autres personnes se faire tuer. Sans broncher, sans se battre. En détournant les yeux. Je les ai détesté. J'ai commencé à détester ma famille, car le même sang coulait dans nos veines : celui de mes grands-parents. Celui souillé par le vice, par l'égoïsme, par l'animalité et la sauvagerie. Je baisse les yeux et retourne m'asseoir dans le canapé. J'aimerai  que les choses changent, mais je ne ferai jamais rien pour.  J'ai bien trop peur du monde qui nous entoure, du véritable monde. J'ai bien trop peur que ce monde extérieur me tue, qu'il me détruise, et qu'il me hôte tout amour de la vie. Toute envie.
Je passe une main dans mes cheveux. Ils se demandent tous ce qui m'est arrivé. Pourquoi j'ai cessé d'être niaise et de m'émerveillé devant des fleurs. Pourquoi j'ai cessé de dire oui à tout, de me dévouer au premier venu. J'ai tout simplement arrêté d'être conne. J'ai arrêté d'être la personne qu'on voulait que je sois, et je me suis écoutée. J'ai accepté mes désirs, j'ai accepté mes volontés. Mais quelque chose, au fond de moi, refuse encore d'obéir, de s'abandonner à la liberté. Car de toute manière, comment pourrais-je être libre alors que je suis emmurée par des barrières invisibles? Je secoue la tête et monte dans ma chambre. Je m'allonge sur mon lit, et je ferme les yeux. Peut-être parviendrai-je par oublier, par me laisser aller dans mes rêves, dans ce que je désire, et non pas ce que je crains.